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Intrigante "mercearia"

Curiosité pour le voyageur, la « mercearia », discrète dans le paysage, est solidement intégrée au quotidien des Capverdiens : indispensable point de ravitaillement, elle est aussi leur lieu privilégié de ralliement.

Gérant d'une mercearia à Santo Antão.

Gérant d'une mercearia à Santo Antão

"Oh gente d'kaza" (toc, toc...)

Elle intrigue le voyageur... Ne serait-ce que par son nom : mercearia, suscitant la confusion. Une mercerie dans un hameau de quelques âmes, dans les montagnes de Santo Antão ? Drôle d'idée... Ce mot trompeur, mercearia, désigne en fait une épicerie.

Une épicerie, vraiment ? Derrière ces murs parfois nus, sans enseigne ? Ce petit magasin local, que l'on trouve aussi bien en ville qu'à la campagne, est en effet le commerce de proximité à la mode capverdienne.

Enseigne d'une boutique à Santo Antão.
Porte d'une boutique au Cap-Vert.

Il est parfois géré par une famille ou sous la forme d'une coopérative, par plusieurs personnes mettant en commun leurs fonds.

 

Elles peuvent opter pour le régime de la microentreprise, fiscalement avantageux. La boutique est licenciée par la mairie locale. Malgré les apparences, elle n'a donc rien d'un commerce interlope. Un affichage y rappelle même, comme ailleurs, l'interdiction de la vente d'alcool aux mineurs. Entrez donc...

Vendre de tout, au détail

Atypique cette échoppe ! Son achalandage est hétéroclite, composé d'un assortiment de produits locaux et importés, de natures diverses (produits alimentaires, d'entretien, ustensiles de cuisine, matériel électrique, fournitures scolaires, alcool, cadeaux de Noël, etc.). On y trouve de tout, à commencer par le meilleur : chorizo local, yaourts de la ferme, confitures, glaces, beignets et gâteaux maison...

Achalandage d'une mercearia au Cap-Vert.
Légumes du Cap-Vert dans une boutique.

Mais surtout, et c'est peut-être là son atout majeur, tout peut s'y acheter au détail : le demi-kilo de riz ou de pommes de terre, la portion de viande de porc découpée sur place, les 20 centimes d'oignons, d'épices ou de ciboulette indispensables à la préparation d'un bon repas, le tiers de flacon de produit vaisselle, les 20 centimes de savon, et même... une couche !

Acheter à crédit, au besoin, mais « seulement demain »

Une boutique étonnante, donc, que la mercearia, rendant de multiples services aux habitants, qui apprécient de pouvoir y acheter ce dont ils ont besoin selon leurs moyens, tout autant que de bénéficier partiellement des prix de gros obtenus par le commerçant auprès de ses fournisseurs.

 

La maison peut aller, si nécessaire, jusqu'à faire crédit, pour une durée déterminée à l'avance. Mais attention, la facilité de paiement n'est pas acquise ! Elle se mérite : le client doit d'abord gagner la confiance de l'épicier, faire preuve du sérieux de son engagement à honorer ses dettes. Parfois, la règle est clairement annoncée, non sans humour : « Fiado so amanha » (crédit : seulement demain). A bon entendeur...

Affichage dans une mercearia au Cap-Vert.

« Pour préserver notre amitié, ne me demandez pas de crédit. »

La mercearia, lieu de socialisation

Enfant du Cap-Vert faisant des courses à la mercearia.

Plus qu'un commerce, la mercearia est une véritable institution au Cap-Vert. Ouverte sur de larges plages horaires, parfois même sur demande en dehors des heures d'ouverture, lorsque les voisins viennent toquer à la porte, elle est fréquentée assidûment par tous.

Les mères de famille viennent quotidiennement, parfois de loin, s'y approvisionner pour préparer le déjeuner, échangeant au passage quelques paroles, parfois un conseil.

A moins que leurs enfants ne se portent volontaires pour la course, nourrissant secrètement l'espoir de se voir autorisés à acheter quelques centimes de leur gourmandise préférée : sucette, glace maison, papaye confite, rebusado (bonbon maison).

Dans la journée, les hommes viennent y savourer un moment de détente, commentant le dernier match de football entre amis, autour d'un petit verre de grog, la boisson nationale (rhum). Si la discussion s'anime et se prolonge autour de quelques bafas (amuse-gueules), l'épicerie-bar adapte ses horaires...

La mercearia est un lieu d'échanges, non exclusivement commerciaux, assurément.

L'épicier, une figure locale

L'épicier est donc, cela va sans dire, un personnage, connu de tous aux alentours. Sa tâche n'est pas mince, et force le respect : en plus de tenir l'épicerie du matin au soir, il doit assurer régulièrement l'approvisionnement de la boutique. L'opération est plus ou moins simple.

Les tenanciers de mercearias situées en ville peuvent se rendre en voiture chez le grossiste ou recourir aux services des grossistes ambulants venus leur proposer (à bon prix, cela s'entend!) leurs meilleurs lots.

Ceux gérant une mercearia située dans des endroits montagneux reculés doivent quant à eux être dotés de bonnes compétences en logistique... et de bonnes chaussures : il leur faut tout d'abord marcher sur les sentiers pour atteindre la route, rejoindre ensuite la ville en voiture, et ramener leur chargement jusqu'au début du sentier, les marchandises étant ensuite transportées à dos d'âne ou d'homme jusqu'à la boutique. Candidats non motivés, s'abstenir !

Sodade, sodade...

Antonio et Isabelle : commerçants-artisans passionnés

A l'entrée de cette mercearia d'un petit village de Santo Antão, sèchent parfois des feuilles de tabac. Rare au Cap-Vert, la production est celle d'Antonio (sur la photo en haut de cette page). Son épouse Isabelle (dite « bébé ») et lui tiennent la petite boutique, où vient s'approvisionner la population des alentours.

 

Entrée d'une mercearia au Cap-Vert.

La gestion de la mercearia, à laquelle ils se vouent depuis une vingtaine d'années déjà, leur apporte « leur pain quotidien », dit Isabelle, et de quoi financer la scolarité de leurs enfants. Elle leur permet en outre de bénéficier, pour leur consommation personnelle, des prix de gros obtenus auprès des fournisseurs.

 

Mais leur motivation n'est pas purement économique, loin de là ! Isabelle le dit tout net : « J'aime avoir des gens chez moi ». Le contact avec les locaux comme avec les clients de passage fait, pour ce couple, tout le charme de l'activité.

Fruits secs du Cap-Vert : papayes et mangues.

Chaque échange avec un voyageur est un petit challenge : il faut, pour dépasser la barrière de la langue, piocher les bons mots dans les mini-lexiques étrangers mémorisés, trouver les gestes adéquats pour s'entendre. Défi toujours relevé avec enthousiasme ! C'est que ces rencontres sont aussi l'occasion pour Antonio et Isabelle de faire découvrir aux voyageurs, outre leur boutique, leur production artisanale : si Antonio produit un peu de tabac, Isabelle détient le secret du séchage des fruits locaux. Mention spéciale, d'ailleurs, aux papayes et aux mangues, qui ravissent les papilles des plus fins gourmets !

Leur avenir ? Antonio et Isabelle ne le voient pas ailleurs que dans leur petite mercearia, qu'ils comptent bien tenir ensemble tant qu'ils le pourront. La taille de la structure est un peu juste pour l'envisager pour le moment, mais ils n'excluent pas d'employer un jour quelqu'un pour les appuyer. Des candidats ?

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