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Capverdiens d'ici et d'ailleurs

Ils sont loin mais si présents! Les nombreux Capverdiens de l'étranger connectent le Cap-Vert au monde, stimulant le développement du pays et promouvant efficacement la culture créole.

Découvrez la "onzième île" du pays.

Statue évoquant la diaspora à Porto Novo (Santo Antão, Cap-Vert).

Une mère de famille, saluant un proche partant pour l'étranger, reste au pays avec son fils.

« Tenho metade da família na Holanda, metade em Portugal e outra metade na América. »

(J'ai la moitié de ma famille aux Pays-Bas, la moitié au Portugal et une autre moitié en Amérique),

réplique Lili dans « Estrangeiras », pièce de théâtre de José Luís Peixoto (célèbre auteur portugais) mettant en scène trois femmes.

 

La première est portugaise, la seconde est brésilienne et la troisième est capverdienne... Lili, sans aucun doute ! Elle exprime mathématiquement (ou presque) ce que les Capverdiens aiment à dire en plaisantant : ils ont de la famille un peu partout... De ce fait, ils ont aussi une large connaissance du monde, et ce depuis longtemps.

Couverture de « Estrangeiras » de José Luís Peixoto (théâtre).

Une impressionnante diaspora

Peut-être 800 000 ! C'est l'ordre de grandeur du nombre d'émigrés capverdiens, pour une population estimée à 550 000[1] résidents en 2019. En comptant les descendants des deuxième, troisième, voire quatrième générations, les Capverdiens vivant à l'étranger seraient donc plus nombreux que ceux restés au pays !

Pissenlit.

La population a principalement essaimé aux États-Unis, où se trouverait aujourd'hui plus de la moitié de la diaspora capverdienne, et en Europe (Portugal, France, Pays-Bas, Luxembourg, Italie, Espagne, Suisse notamment), mais également en Afrique (Angola, Sénégal, São Tomé et Principe) et en Amérique Latine (Argentine, Brésil).

L'émigration, dont les causes ont néanmoins évolué dans le temps, est notamment liée aux conditions de vie rendues difficiles dans l'archipel du fait des famines entraînées par les épisodes de sécheresse, du manque de ressources et de l'étroitesse du territoire. Ainsi, de nombreux Capverdiens se sont tournés vers les marchés du travail étrangers, allégeant la pression démographique pesant sur l'économie de leur pays d'origine.

Des États-Unis à l'Europe, via l'Afrique et l'Amérique latine : un itinéraire mouvant

L'émigration capverdienne vers les États-Unis devient massive après la fin de l'esclavage outre-Atlantique, en 1865, jusqu'à la mise en place de quotas d'immigration dans les années 1920. Dans les années 1940, dans un contexte de famine, les autorités mettent en place une émigration forcée vers d'autres colonies portugaises : São Tomé, où les Capverdiens supportent des conditions de travail très difficiles dans les plantations de café et de cacao, ainsi que l'Angola et le Mozambique, où ils occupent surtout des postes administratifs[2]. Une immigration clandestine vers le Sénégal et l'Amérique latine se développe en parallèle.

 

A partir des années 1950, et plus encore dans la décennie suivante, les candidats au départ se dirigent vers des pays européens, demandeurs de main d’œuvre dans une période de croissance économique, au cours de laquelle une partie de leur population active est mobilisée par les guerres coloniales ou a elle-même émigré vers d'autres pays européens (cas du Portugal). Les émigrés entrent parfois directement dans leur pays d'accueil, tels que ceux embarqués comme marins arrivant à Rotterdam. Dans d'autres cas, ils transitent par un autre pays, en particulier le Portugal, pour s'installer ensuite en France ou aux Pays-Bas.

Le précieux soutien financier des émigrés

Le rôle de la diaspora dans l'économie du pays est crucial. D'après la Banco do Cabo Verde (la Banque nationale du Cap-Vert), les transferts des émigrants, dont le volume est devenu significatif à la fin des années 1970, a fortement augmenté à partir de la fin des années 1990. Il a représenté plus de 10 % du produit intérieur brut (lui-même croissant) jusqu'en 1995 et oscille depuis cette date autour de ce taux[3].

Evolution du montant des transferts financiers de la diaspora du Cap-Vert.

Les transferts des émigrés ont principalement pris la forme, au moins dans les premiers temps, d'aides aux familles, visant à soutenir leur consommation et leur équipement, la construction ou l'entretien de l'habitat, mais aussi l'éducation et la santé des enfants[4]. La diaspora a ainsi aidé la population restée au pays à faire face aux difficultés économiques et, dans certains cas, notamment en période de crise, à survivre. C'est au cours de l'une des périodes les plus difficiles qu'est apparu l'usage des « bidons », ces grands contenants dans lesquels les émigrés envoient, encore aujourd'hui, des produits de première nécessité à leurs proches restés au pays.

Les émigrés concourent aussi, modestement, au développement d'entreprises familiales (petits commerces, pêche, etc.). Aidés par le cadre juridique désormais plus incitatif, ils prennent part aux investissements nationaux, voire internationaux, notamment dans les secteurs de l'immobilier, du tourisme, des transports et des nouvelles technologies de l'information.

Les Capverdiens de l'étranger « sont vraiment chou »

L'appui financier de la diaspora, encouragé par les pouvoirs publics, est très apprécié par les Capverdiens restés au pays, qui éprouvent une vive reconnaissance à leur égard : « ils sont vraiment chou », dit l'un deux.

 

D'autant plus « chou » que ce soutien prend également une dimension solidaire : bien que partis pour assurer leur bien-être et celui de leur famille (ce que comprennent très bien leurs compatriotes restés au pays), il n'est pas rare que les émigrés s'organisent, par le biais d'associations créées dans leurs pays d'accueil, pour venir en aide à leur communauté d'origine[5], par exemple en collectant des fonds versés à une école.

 

De mieux en mieux intégrés dans leur pays d'accueil, ils mobilisent par ailleurs leurs réseaux pour encourager les partenariats avec des investisseurs privés ou des collectivités (notamment locales), susceptibles d'apporter une contribution via l'aide décentralisée au développement.

 

Parce qu'ils y sont souvent restés très attachés, les émigrés tendent à investir et à encourager les investissements en priorité dans leur île d'origine. Les destinations des émigrés étant elles aussi fortement liées à leurs îles d'origine, les flux financiers peuvent sembler « spécialisés » : ainsi Brava et Fogo reçoivent principalement le soutien des émigrés originaires de l'île installés aux États-Unis, tandis que São Vicente et Santo Antão sont surtout appuyés par leurs proches vivant en Europe. Santiago fait figure d'exception : elle parvient à capter les capitaux d'émigrés originaires d'autres îles, investissant notamment dans l'immobilier, en particulier à Praia, la capitale.

Au Cap-Vert, on joue les matchs à onze...

Carte et drapeau des îles du Cap-Vert.

En retour, les « locaux » aimeraient avoir l'opportunité de rendre à leurs compatriotes la monnaie de leur pièce. Il ne s'agit pas seulement de les encourager à continuer à œuvrer au développement du Cap-Vert, mais aussi de maintenir leur relation forte avec la « onzième » île.

Bien sûr, au fil de leur intégration progressive et du remplacement des générations, le lien tend à s'estomper entre locaux et émigrés. D'ailleurs, lorsqu'ils se rencontrent au pays, les locaux trouvent parfois les émigrés « un peu perdus », cherchant un établissement ou un bâtiment public disparu, plus très au fait des démarches administratives à effectuer, un peu désarçonnés par le vent de modernisation qui a, leur apparaît-il soudain, soufflé sur leur petit pays en leur absence. Les nuances de créole ancien, que les enfants des émigrés ont appris de leurs parents à l'étranger, n'échappent pas non plus aux locaux, qui s'en amusent.

Il n'empêche que tous sont d'une façon ou d'une autre « connectés » à la terre sur laquelle ils sont nés... ou auraient pu naître. Les émigrés font partie de la nation capverdienne, pas seulement dans leur tête et dans leur cœur : ils ont la possibilité, même lorsqu'ils en acquièrent une autre, de conserver la nationalité capverdienne et sont représentés dans plusieurs instances, notamment au Parlement capverdien, où six députés sont élus par la diaspora.

Vacances des émigrés au pays : la fête des retrouvailles

Lorsque leurs moyens financiers le leur permettent, certains émigrés resserrent leurs liens avec leur île d'origine, le temps de quelques semaines de vacances. Prenant le relais des touristes en cette période creuse de l'été, ils stimulent encore, via leurs dépenses sur place, l'économie locale.

Mais leur arrivée sonne surtout l'ouverture de la fête des retrouvailles ! Pendant cette période un peu magique pour tous, une douce ambiance envahit les îles : les babillages en créole d'antan (voire en créole « arrangé »), se mêlent aux sonorités des multiples langues étrangères parlées par les émigrés. Les bribes de conversations captées ici et là ne font pas seulement voyager virtuellement les locaux autour du monde, elles provoquent aussi chez certains (notamment chez les plus jeunes) un déclic, leur donnant l'envie d'apprendre d'autres langues.

Mixages culturels

L'impact positif de ces échanges va en fait bien au-delà : les émigrés transmettent ainsi également, et ce depuis des décennies, quantités de nouveautés : connaissances, compétences, savoir-faire, idées, façons de penser, etc., une autre forme d'investissement dont l'économie n'est pas la seule à bénéficier.

 

L'évolution politique du Cap-Vert vers l'indépendance (en 1975) et la démocratie doit ainsi beaucoup au soutien apporté par la diaspora au travers de ses associations[6]. Au moment de l'émergence du multipartisme (en 1991), des émigrés formés à l'étranger, de retour au pays, ont également contribué à diriger le Cap-Vert.

 

L'évolution culturelle est elle aussi marquée par l'apport des émigrés : dans le champ musical par exemple, apparaissent de nouveaux thèmes, instruments ou styles tels que celui du groupe Voz de Cabo Verde, créé aux Pays-Bas dans les années 1960, mêlant les influences capverdiennes, américaines, européennes, caribéennes, etc.

Les émigrés jouent de plus le rôle d'ambassadeurs de la culture du pays, par le biais des radios, sites Internet, journaux qu'ils créent dans leur pays d'origine, confortant ainsi l'identité capverdienne. Ils en deviennent même parfois les promoteurs : c'est ainsi depuis l'Europe que José Da Siva crée le label de disques Lusafrica, lusophone et africain, qui lance la carrière de Cesaria Evora.

Home sweet home...

Si l'ouverture des Capverdiens au monde est évidente, la sodade constitue néanmoins pour certains une force de rappel. Beaucoup, parmi les premières générations d'émigrés, ont affronté la barrière de la langue et les difficultés d'intégration dans leur pays d'accueil, ont travaillé dur pour améliorer leurs propres conditions de vie, celles de leurs proches restés au pays, et offrir des perspectives à leur descendance.

Au terme de leur vie active, certains choisissent de rentrer au Cap-Vert pour y profiter d'une retraite bien méritée. Pas tous, loin de là ! Ainsi, l'Institut national de statistique du Cap-Vert comptabilisait environ 21 000 personnes résidant au Cap-Vert au moment du recensement de 2010 et à l'étranger auparavant. Ce chiffre est un majorant du nombre d'émigrés de retour (sans doute sensiblement plus faible) à rapprocher (non sans précaution) de la taille de la diaspora.

Parce qu'on vient de loin : Cap-Vert.

Parce qu'on vient de loin :

Cap-Vert

France 3

Malgré les politiques d'immigration plus restrictives depuis les années 1970, les flux de départs du Cap-Vert restent conséquents : l'Institut national de statistique du Cap-Vert estimait en 2014 à 16 420 le nombre de Capverdiens partis vivre à l'étranger au cours des cinq années précédentes (soit une proportion de l'ordre de 3 % de la population).

 

Mais l'émigration capverdienne a pris un autre visage : à la même date, la recherche d'un emploi ne motive plus que 21 % des départs (davantage pour les hommes – 26 %), soit à peu près autant que le regroupement familial (23 %). Les études constituent la principale motivation des partants (36 %), pour les hommes comme pour les femmes. Enfin, près de 15 % des émigrés (notamment des femmes) rejoignent un autre pays pour raison de santé, à un âge plus avancé.

Plus d'un émigré sur deux se tourne aujourd'hui vers le Portugal (53 %), les autres destinations étant principalement les États-Unis (17 %) et la France (11 %), suivis par le Brésil (4 %) et l'Angola (3 %).

Motif de départ et pays de destination sont liés : si les études sont le premier motif d'entrée des Capverdiens au Portugal (46 % des entrées dans ce pays), les arrivées en France restent en premier lieu liées à la recherche d'un emploi (44 %) tandis que l'immigration aux États-Unis résulte une fois sur deux d'un regroupement familial.

 

Les Capverdiens ont donc encore un peu « la bougeotte » et restent ouverts aux opportunités de départ qui se présentent. Du fait du développement progressif du pays, induisant une instruction de qualité croissante, des perspectives professionnelles de plus en plus vastes, accrues par une réglementation encourageant davantage la création d'activité, les mobilités prennent plus fréquemment l'allure d'escapades : de jeunes Capverdiens parcourent aujourd'hui le monde pour découvrir, apprendre, visiter, tout en gardant leur point d'attache sur leur île. Le statut d'émigré tend ainsi à perdre un peu de son attrait, au profit de celui de voyageur.

References

1 Institut national de statistique du Cap-Vert

2 Les migrations aux îles de Cap-Vert, Nelson Eurico Cabral, 1975

3 Banque du Cap-Vert, statistiques.

4 La diaspora capverdienne et son rôle dans l'archipel du Cap-Vert, Michel Lesourd, 2005

5 Emigration et insularisme au Cap-Vert, Nathalie Kotlok, 2011

6 Le rôle des émigrés dans la transition démocratique aux îles du Cap-Vert, Luis Andrade Silva, 1995

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